OUVRIR UN ESPACE BIO-POLITIQUE DE RECHERCHE BIOGRAPHIQUE
Lors d'un atelier d'écriture organisé dans un "café interculturel" à Rennes, l'Espagnole ANGELES me confie un manuscrit de sa biographie dont sont extraites les pages biographiques qui suivent. Elle espère que cette biographie en appellera d'autres afin de croiser différents regards sur l'histoire de son pays et d'autres pays du monde ayant bafoué, à un moment de leur histoire, la liberté citoyenne de leur peuple.
Que ceux et celles qui seront sensibles à cette espérance d'ANGELES n'hésitent pas à ajouter leurs commentaires ou témoignages à la suite de cet article. Sachez qu'ANGELES ne pouvait penser, quand elle écrivait ce texte il y a quelques années, que la chape de silence sur la mémoire des victimes de la dictature franquiste entretenue par la loi d'amnistie de 1977 allait brusquement être contestée en 2010, notamment lors d'importantes manifestations de soutien au juge Baltasar GARZON dans toutes les grandes villes espagnoles. On a vu ainsi les gens commencer à témoigner devant les micros des télévisions, certains faisant partie d'enfants républicains enlevés à leur mère dans les maternités avec la complicité de religieuses qui annonçaient la mort du nouveau-né à sa mère désemparée, n'osant pas mettre en cause la parole d'une infirmière religieuse, alors que pendant ce temps-là le nouveau-né était remis à une famille franquiste. Il y aurait eu environ 30 000 enfants soustraits ainsi à leur mère parce que le mari ou elle-même était soupçonné(e) d'être républicain(e) !
Certes, le Conseil Général du Pouvoir Judiciaire espagnol vient de suspendre, le 14 mai 2010, le juge Baltasar GARZON de ses fonctions, conséquence de sa mise en accusation pour avoir voulu enquêter en 2008 sur les crimes amnistiés du franquisme (150 000 Républicains disparus dans des fosses communes).Cette mesure prise à l'encontre du juge Baltasar GARZON fait suite à la décision prise par un magistrat du Tribunal suprême d'ordonner l'ouverture d'un procès pour abus de pouvoir après la plainte pour "prévarication" formulée par des organisations extrémistes comme la Phalange. Le juge GARZON est mondialement connu pour avoir fait interpeller en 1998, à Londres, l'ex-dictateur chilien Augusto Pinochet et il a notamment reçu le soutien de nombreux juristes dans le monde qui estiment que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles et que cette loi d'amnistie de 1977 n'est pas conforme au droit international. Une autre question se pose aussi : peut-on instaurer solidement une démocratie sur l'oubli imposé à tout un peuple ?
BIOGRAPHIE DE LA FILLE D'UN REPUBLICAIN ESPAGNOL - DEUXIEME GENERATION
" Toute mon enfance et toute mon adolescence se sont passées sous le régime franquiste. Je sais que je ne suis pas la seule qui ai grandi sous un tel régime. Mais je suis l'une de ces enfants de Républicains espagnols - des Rouges, ainsi qu'on le disait en ces temps de fascisme. J'eus le malheur d'être abandonnée, avec ma soeur jumelle qui s'appelait Luisa qui mourut environ trois ans plus tard et qui est enterrée dans le cimetière de Huesca. En effet, ma mère accompagnée de sa soeur nous avait laissée à l'orphelinat et les recherches faites ensuite par l'administration de la Résidence Provinciale de Huesca (orphelinat) sur nos parents leur permirent de s'apercevoir que nous étions filles d'un Rouge (Républicain espagnol). Et l'on nous fit subir beaucoup de mauvais traitements, de punitions, de mépris et d'humiliations. Nous devions tout supporter avec résignation sinon c'était le cachot où l'on nous tenait enfermées dans l'obscurité...
Huesca fut bombardée et ces bombardements détruisirent la moitié du bâtiment. Il y eut des morts et des blessés. C'est pourquoi les autorités prirent la décision de nous transférer à Saragosse. Les personnes âgées et les adultes restèrent dans cette ville, les enfants, on nous emmena à Calatayud.
Malgré notre jeune âge, nous nous rendions compte que tout ne se passait pas très bien car l'Aragon était régulièrement bombardé, surtout la nuit, car il était alors plus facile de déstabiliser l'adversaire sans se préoccuper des morts, des blessés et des familles déchirées. Je me rappelle que durant notre sommeil, les soeurs nous réveillaient et que nous devions traverser la cour en chemise de nuit pour nous réfugier dans les caves qui devaient nous offrir un abri afin qu'il y ait moins de morts d'innocents ou d'enfants handicapés à vie.
Quelques mois après la fin de la guerre - car l'on devait faire des réparations importantes - on nous transféra de nouveau à l'Hospice de Huesca où l'on organisa peu à peu notre séjour dans la Résidence Provinciale pour enfants. C'était une situation de misère terrible ! Je me souviens, malgré mon jeune âge d'alors - il est vrai que les jeunes enfants qui ont souffert conservent de profondes marques - que l'on nous choisissait, nous, les enfants des Rouges, pour accompagner, avec un sac sur l'épaule, la religieuse et aller faire du porte à porte pour que l'on nous donne, qui des lentilles, qui des pois chiches, des haricots, de la farine, du riz, du pain et surtout des navets (qui remplaçaient les pommes de terre). Quand le sac était plein, nous rentrions avec difficulté à l'orphelinat. Les gens ne possédaient pas grand'chose et chacun donnait ce qu'il pouvait. La présence de la religieuse les poussaient à se montrer charitables. Nous ne pouvions refuser de participer car l'on nous punissait ou l'on nous frappait en cas de refus. Nous devions participer pour aider la Diputacion (Préfecture) de Huesca qui avait quelques problèmes administratifs pour nous fournir de la nourriture.
Je n'oublie pas non plus qu'à l'époque de la récolte des olives c'étaient les filles de Rouges qui servaient aussi de main-d'oeuvre : on nous transportait en chariot pour participer à cette cueillette des olives. Les paysans secouaient les oliviers et les frappaient avec de longues gaules, puis nous remplissions les paniers qui étaient préparés pour cela et lorsque ceux-ci étaient pleins nous les placions dansles couffes que portaient les ânes pour les transporter vers les entrepôts. Les gens du village nous logeaient et s'occupaient bien de nous et nous nourrissaient bien : c'était notre récompense. Ainsi, au cours des deux ou trois années où l'on y alla, ce fut pour nous une sorte de fête !
Je me rappelle que, par manque de la nourriture nécessaire à l'orphelinat, nous avions des problèmes de digestion. Tous les matins, on nous obligeait à prendre une cuillerée d'huile de foie de morue pour libérer les intestins. Parmi les punitions que nous infligeaient les soeurs, nous devions régulièrement nous mettre à genoux, les bras en croix et l'on nous frappait avec une lanière de cuir (on nous flagellait). On nous fouettait le dos et le sang coulait ! Nous pleurions et nous crions, mais en vain. On nous disait que nous devions ainsi expier tous les péchés que commettaient les communistes. D'autres fois, on nous tenait tout un après-midi à genoux pour prier sans arrêt. La raison était identique. Quand des petites filles franquistes faisaient pipi au lit, c'était à nous, filles de Rouges, que l'on mettait le drap, à tour de rôle, sur la tête en nous tenant dans les couloirs, afin que tout le monde puisse nous voir. Pour les soeurs qui s'occupaient de nous, les punitions que nous recevions étaient une satisfaction car, nous étions, à leurs yeux, les filles du péché !
Comment oublier cette cruauté physique et morale qui me poursuivait toujours : j'en rêvais toutes les nuits ! Car à force de subir tout cela, tous ces actes, toutes ces actions, j'étais parvenue à un tel état que je ne pouvais croire que l'on puisse vivre autrement !
Comment oublier tous ces dimanches où je devais m'habiller avec cet uniforme bleu marine, si joli avec sa cape et la coiffure - nous semblions des filles de riches- pour défiler ainsi à travers les riues de Huesca, le bras tendu, en faisant le salut fasciste, forcées de crier "Franco si, comunista no !" voyant comment les gens nous regardaient, certains avec intérêt et d'autres avec indifférence, et nous entendant dire souvent : "Voilà les filles de Rouges, les filles de rien !"
Biographie à suivre...
N'hésitez pas à réagir - Merci